Georges FRECHE
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Georges Frêche, le plus grand maire de France?
Le président du Languedoc-Roussillon lors de l'inauguration de la statue de Lénine, le 18 août 2010. REUTERS/Pascal Parrot
Malgré une personnalité contestée, Georges Frêche, décédé hier soir, restera comme l'un des édiles les plus marquants de l'Hexagone. Peu de villes auront, autant que Montpellier, été à ce point transformées en trente ans.
Bien sûr, les décès se prêtent souvent aux hagiographies. Naturellement, ce n'est pas autour des cercueils que l'on évoque le plus spontanément les défauts des défunts. Ce n'est pourtant pas pour céder à ces compliments de circonstance, mais par respect des faits que L'Express écrit ces lignes: oui, Georges Frêche, qui s'est éteint dimanche soir à 72 ans d'un arrêt cardiaque, restera comme l'un des plus grands maires de France.
On l'a oublié, mais, à l'orée des années 1950, Montpellier était moins peuplée que... Nîmes. La ville se languissait, sous l'effet anesthésiant d'une bourgeoisie autosatisfaite et de négociants assis sur l'or rouge de la viticulture languedocienne. Rien ne prédestinait particulièrement cette "cité pinardière", sans ambition européenne, sans fonction méditerranéenne, à devenir celle qu'un coup de pub audacieux baptisera un jour la "surdouée". Or, aujourd'hui, c'est peu dire qu'elle a largement dépassé sa voisine. 220 000 habitants dans l'agglomération en 1977, 320 000 aujourd'hui: de fait, la préfecture de l'Hérault a connu sous le règne de Frêche une croissance à la chinoise - ce qui réjouissait cet ancien maoïste...
L'homme, dont la modestie n'était pas la qualité première, se présentait volontiers comme le seul Pygmalion de la ville. Ce n'était évidemment pas le cas. Il n'aimait pas qu'on le lui rappelle, mais c'est bel et bien dès les années 1960 que la ville a pris son envol. Grâce à l'Etat, qui la choisit pour préfecture régionale, dope son université et aménage la côte languedocienne, dotant Montpellier des atours de cité balnéaire. Grâce à son prédécesseur de droite, François Delmas, qui organisa notamment l'accueil de dizaines de milliers de pieds-noirs dans la préfecture de l'Hérault. Et grâce à l'erreur de sa voisine, Nîmes, dont le maire communiste refusa sans ménagement la venue d'IBM ! Conduisant le géant informatique à jeter son dévolu sur Montpellier, qui n'eut pas les mêmes pudeurs...
Miser sur la matière grise
Quand Georges Frêche s'installe à l'hôtel de ville, en 1977 (il y restera jusqu'en 2004, avant d'en présider l'agglomération), le travail est donc déjà bien engagé. Mais il saura lui donner un rythme encore plus vif et lui faire prendre quelques tournants décisifs. L'édile est en effet l'un des rares, en France, à posséder une vision stratégique pour sa cité, définie en compagnie de son remarquable adjoint, Raymond Dugrand: tourner Montpellier vers la mer, dont elle est séparée, de fait, d'une dizaine de kilomètres, la métamorphoser en métropole méditerranéenne.
Il est aussi l'un des premiers à comprendre que le développement, désormais, ne dépend plus de la richesse du sol (l'agriculture) ni du sous-sol (les mines), mais de la matière grise. Et que, dès lors, pour créer des emplois, l'essentiel consiste à séduire les patrons, les cadres, les ingénieurs - et leurs conjoints - , à "mettre sa ville en désir". Pour y parvenir, il n'aura de cesse de multiplier les contacts entre les universités, les labos de recherche et le monde des entreprises, mais aussi à investir dans le sport et la culture.
En la matière, il ne fera pas dans la demi-mesure, misant aussi bien sur la danse, avec les plus grands chorégraphes (Dominique Bagouet, puis Mathilde Monnier), la musique (le festival Radio France, notamment), dotant sa ville d'un Palais des Congrès de premier plan, d'une salle de sports dernier cri, subventionnant à qui mieux-mieux les clubs de haut niveau. Faut-il y voir un clin d'oeil du destin? Comme un hommage, l'homme meurt la semaine où "ses" équipes brillent dans les classements des championnats de football, de rugby et de handball...
Mieux que d'autres, il aura surtout compris que l'architecture n'est pas seulement une nécessité dans une ville qui grandit, mais aussi un formidable moyen de communication. Il sera l'un des premiers à faire travailler un "starchitecte", le Catalan Ricardo Boffil, pour ériger un nouveau quartier, Antigone. Aujourd'hui, les plus célèbres professionnels se battent pour construire qui un immeuble, qui un équipement dans la capitale languedocienne. Qu'il s'agisse de Christian de Portzamparc (Port Marianne ), de Zaha Haddid (Pierresvives) ou de Jean Nouvel (l'hôtel de ville).
L'écologie perdante, des collaborations avortées
Pas d'aveuglement, toutefois. L'oeuvre de Frêche le bâtisseur aura aussi été marquée par les limites et les parti-pris de son époque. Peu soucieux d'écologie, son obsession pour la croissance l'a conduit aussi bien à rayer d'un trait de plume des espaces naturels et agricoles qu'à prendre le tram avec un métro de retard, si l'on ose dire - 15 ans après Grenoble et Nantes! Sa passion pour le spectaculaire l'aura amené à privilégier les bâtiments neufs et à négliger les quartiers anciens. Son caractère tempétueux l'aura empêché de collaborer au mieux avec ses voisins (les maires des communes proches, le président du département), ce qui aura privé Montpellier du grand aéroport qui lui fait défaut et du statut de communauté urbaine, dont elle avait besoin. Toutes erreurs qu'auront su éviter ses homologues plus consensuels et, pour cette raison, plus efficaces, comme Edmond Hervé, à Rennes, ou Pierre Mauroy, à Lille.
Ah, son caractère... C'est lui, aussi, qui priva cet homme à l'envergure intellectuelle hors du commun de la carrière ministérielle à laquelle, quoi qu'il en dît, il aspira longtemps. Las: François Mitterrand y mit toujours son veto (comme Lionel Jospin, plus tard), se méfiant de cet incontrôlable électron libre - ce qui vaudra à l'ancien président de voir son nom apposé à un simple "local technique", quand Frêche s'installera à la tête de la région Languedoc Roussillon, en 2004... Il aura aussi conduit ce tribun qui n'était pourtant ni raciste ni antisémite à verser régulièrement dans le populisme, voire aux dérapages les plus contestables - Laurent Fabius "à la tronche pas catholique", les harkis, traités de "sous-hommes", et les joueurs noirs de l'équipe de France de football, "trop nombreux", sont là pour en témoigner.
Tant pis, tant mieux. Privé des ors parisiens, Frêche, plutôt que de se morfondre en ses terres, aura toujours eu à coeur de démontrer à la France entière sa valeur en métamorphosant "sa" ville. Les Montpelliérains n'auront pas trop à s'en plaindre.
Les premiers mot de notre maire Cyril Meunier à chaud:
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